mercredi 28 mai 2014

Eau terrestre

L’hypothèse la plus communément acceptée pour l’origine de l’eau océanique est que toute la masse d’eau présente de nos jours était déjà présente juste après la formation de la planète. On sait par exemple que la croûte continentale contient 1% d’eau sous la forme d’eau juvénile à la surface ou à l’intérieur de minéraux hydratés. Or, la croûte continentale a une masse de 2,4 x 1022) kg et même si l’on suppose une érosion quantitative de toute la croûte cela ne représente que 10% de l’inventaire terrestre. Une autre solution peut provenir du volcanisme qui rejette dans l’atmosphère d’énormes quantités de CO2 et de vapeur d’eau ainsi que de petites quantités de sulfates, d’azote et de gaz nobles. L’analyse des gaz nobles primordiaux dans le manteau rocheux (dorsales basaltiques), des diamants, des xénolithes (constituées de deux roches différentes: basalte et péridotites) ainsi que la découverte de radionucléides éteints (système Pu-I-Xe) a en effet clairement démontré qu’un dégazage catastrophique d’espèces volatiles s’est produit durant les 100 millions d’années après l’accrétion de la Terre. Le fait qu’un gaz noble comme le néon ait une composition isotopique similaire à celui du soleil est une autre preuve d’un dégazage de gaz primordiaux capturés durant la formation de la Terre à partir de la nébuleuse proto-solaire. Par comparaison avec ces gaz nobles, il est communément admis que la majorité des volatils (N, C, O, H) ont une origine similaire. Toutefois, le fait que la Terre soit assez proche du Soleil implique des températures de condensation relativement hautes, ce qui ne permet pas l’incorporation d’éléments très volatils tels que N, C, O et H. De plus, les conditions rédox dans cet endroit du Système Solaire ne permettent pas à l’eau de se former, suggérant une autre origine pour l’eau océanique. Ceci est d’ailleurs confirmé par la signature isotopique (D/H = 155,7 x 10-6, δD = 0‰) de l’eau de mer moderne comme on peut le voir sur la table suivante (SMOW = Standard Mean Ocean Water ou Eau Océanique Moyenne Standard). Le rapport D/H est en effet très variable dans le Système Solaire, augmentant lorsque l’on s’éloigne du Soleil, en raison d’un enrichissement progressif en deutérium provoqué par des interactions ions/molécules avec le milieu interstellaire.


Le rapport D/H de la nébuleuse proto-solaire a été estimé à 21 ± 5 x 10-6 en utilisant comme référence la composition isotopique de l’hélium solaire et la composition isotopique de l’hydrogène moléculaire dans les hautes atmosphères des planètes géantes. Cette valeur est 7 fois plus faible que la valeur océanique. Des modèles de la nébuleuse proto-solaire ont montré que seuls des planétésimaux formés dans la région de Jupiter-Saturne et dans la ceinture d’astéroïdes exterieure pouvait avoir des rapports D/H voisins de ceux mesurés dans les océans. Deux seuls corps planétaires peuvent donc être à l’origine de l’eau: les comètes et les chondrites carbonées hydratées. \n\nLes comètes sont des corps composés de glaces (d''eau mais aussi avec quantités mineures de méthanol, de monoxyde et de dioxyde de carbone) mêlées à des particules de silicates, de carbone et de matières organiques. Ces comètes proviennent du nuage d’Oort localisé dans la région extérieure du Système Solaire, contenant principalement des planétésimaux qui se trouvaient initialement dans la région d’Uranus-Neptune ainsi que dans la ceinture de Kuiper primordiale.
Les météorites chondritiques sont des météorites pierreuses ayant moins de 35 % de métal et contenant des chondres, billes de silicates de quelques millimètres formées lors de la condensation de la nébuleuse solaire il y a environ 4,56 milliards d''années. Parmi les météorites les plus primitives, les chondrites carbonées contiennent une large quantité d’eau: jusqu’à 22g pour 100g de roches. Actuellement ce type de météorites est rare constituant seulement 4% des météorites tombant sur la Terre, mais leur réservoir extra-terrestre semble assez considérable. On en trouve ainsi un grand nombre dans la ceinture exterieure d’astéroïdes localisée entre Mars et Jupiter à 2 UA du Soleil, source principale de météorites arrivant actuellement sur Terre. Le sol lunaire contient entre 1 et 2% de ces chondrites carbonées, tandis que le plus grand flux de matière extra-terrestre (40 000 tonnes par an) atteignant actuellement la Terre au niveau de l’Antarctique sont des micrométéorites de type chondrites carbonées hydratées. Comme le montre le tableau précédent et la figure suivante, le rapport D/H des eaux océaniques et celui de la Terre entière se trouve être assez proche de celui que l’on trouve dans les chondrites carbonées.


Le rapport D/H des comètes semble quant à lui 10 à 20 fois supérieur au rapport D/H de l’hydrogène moléculaire dans la nébuleuse proto-solaire et 2-3 fois supérieur à celui de l’eau de mer moderne. Ceci suggère que les comètes n’ont pas contribué de manière significative à la délivrance de l’eau sur la Terre. Un bilan de masse montre de fait que la quantité d’eau délivrée par les comètes sur la Terre est de l’ordre de 10 à 15% du total disponible. Les défenseurs de l’hypothèse d’une origine cométaire de l’eau estiment pour leur part que les rapports D/H mesurés correspondent à des comètes de longue période (Halley = 316 ± 34 x 10-6, Hyakutake = 290 ± 100 x 10-6 et Hale-Bopp = 320 ± 120 x 10-6) qui se sont probablement formées dans la région d’Uranus-Neptune ou dans la région trans-Uranienne, ce qui expliquerait le très fort enrichissement en deutérium mesuré. Si l’eau provenait de comètes formées dans la région de Jupiter où règne une température plus haute (100 K) on s’attend à des rapports D/H plus faibles en raison de l’échange avec l’hydrogène proto-solaire. Toutefois, ils se trouve que ces comètes ont une durée de vie très brève (150 000 ans) ce qui diminue la probabilité d’impact avec une Terre en accrétion. Il semble donc que cette hypothèse cométaire ne soit pas tenable en l’état actuel des connaissances.

On voit donc que le débat est loin d’être clos, l’hypothèse la plus couramment admise est que 90% ou plus de l’eau que l’on trouve sur Terre a été apportée par de petits astéroïdes Troyens ayant une composition chondritique et provenant de la ceinture d’astéroïdes extérieure. L’époque de délivrance est très probablement à la fin de l’accrétion de la Terre. Ceci est suggéré par la présence de quantités anormales d’éléments sidérophiles dans le manteau terrestre. Les sidérophiles sont en effet des éléments du groupe du platine qui auraient dû migrer vers le noyau durant la différentiation primaire de la Terre, en même temps que l’alliage Nickel-Fer (Ni-Fe). Or, il se trouve qu’une quantité non négligeable de ces éléments est encore présente dans le manteau et ceci ne peut être expliqué que par une addition tardive, après la formation du noyau et la séparation du manteau. La formation du noyau terrestre a été estimée à 50 millions d’années après la condensation à partir de la nébuleuse proto-solaire. L’abondance relative des sidérophiles dans le manteau est en fait très similaire à celle des météorites primitives, comme les chondrites carbonées hydratées. Un bilan de masse suggère qu’un flux météoritique équivalent à 4,5 x 10-3 de la masse terrestre (MT = 6 x 1024 kg) pourrait expliquer la délivrance tardive des éléments siérophiles dans le manteau. Un tel flux de chondrites carbonées hydratées contenant de 6 à 22 pds% d’eau aurait ainsi pu délivrer à la Terre 1,6-6,0 x 1021 kg d’eau, c’est à dire de 1 à 4 fois la masse océanique actuelle (1,4 x 1021 kg).\n\nL’origine de l’eau sur Terre ayant été quelque peu clarifiée, voyons maintenant à quelle époque sont apparus les océans.

Références
Daniele L. Pinti (2005), «The Origin and Evolution of the Oceans», Lectures in Astrobiology, Vol. 1. M. Gargaud, B. Barbier, H. Martin & J. Reisse Eds, Springer-Verlag, New York, Berlin, p.83-112.

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