mardi 18 mars 2014

Vibrations moléculaires

On appelle mode de vibration un type de mouvement au cours duquel le centre de gravité de la molécule reste immobile et qui ne correspond pas à l'un des 3 mouvements de rotation globale de la molécule autour de ses trois axes d'inertie principaux. Si le mouvement se fait en avec déplacement du centre de gravité, on parle de mouvement de translation. On rappelle qu’une molécule non linéaire constituée de N atomes possède 3N-6 modes normaux de vibrations, 3 modes de rotation et 3 modes de translations. Cette règle découle du fait qu'il faut trois 3 coordonnées (x,y,z) pour repérer la position d''un atome dans l'espace, ce qui fait un total 3N degrés de liberté. Sur ces 3N degrés de libertés, il faut en retirer trois qui correspondent à la translation du centre de masse selon chacun des axes x, y ou z et trois autres qui correspondent à la rotation autour du centre de masse selon les trois axes d'inertie (a,b,c) de la molécule. La molécule d’eau étant tri-atomique (N = 3) elle possède donc 3N - 6 = 3x3 - 6 = 3 modes normaux de vibrations présentant chacun une fréquence caractéristique ν1, ν2 et ν3. Les symétries des vibrations associées à chacun de ces trois modes peuvent être déterminées au moyen de la théorie des groupes. On trouve ainsi que le premier mode décrit un mouvement d’étirement totalement symétrique (représentation irréductible a1 du groupe ponctuel C2v auquel appartient la molécule d'eau) de fréquence ν1 = 3657,053 cm-1. Au cours de ce mouvement, l’angle HOH reste constant tandis que les deux liaisons OH se raccourcissent ou s’allongent de manière symétrique.



Le deuxième mode de vibration implique un mouvement de cisaillement lui aussi totalement symétrique (symbole a1 également) de fréquence ν2 = 1594,746 cm-1. Au cours de ce mouvement, les distances O-H restent fixes tandis que l’angle HOH se ferme ou s’ouvre.



Enfin, le troisième mode de vibration implique un mouvement d’étirement asymétrique (représentation irréductible b1 du groupe ponctuel C2v) de fréquence ν3 = 3755,929 cm-1. Au cours de ce mouvement, une distance O-H s’allonge tandis que l’autre se raccourcit en laissant l'angle HOH inchangé.



Tous les mouvements de vibration de la molécule d''eau peuvent ainsi être vus comme des combinaisons linéaires de ces trois modes normaux. Pour caractériser l'état quantique de l'eau du point de vue de ses vibrations moléculaires, il nous faudra donc 3 nombres quantiques associés à chacun de ces trois modes, ce que l'on représente comme d'habitude par le symbole de Dirac:
\[\mid v_{1},v_{2},v_{3}>\]
. Dans ces conditions, l'énergie de vibration de chaque état peut s'écrire:
\[E=EPZ+(h\cdot \nu _{1})\cdot v_{1}+(h\cdot \nu _{2})\cdot v_{2}+(h\cdot \nu _{3})\cdot v_{3}+E_{res}\]
où EPZ est l'énergie de point zéro de la molécule d''eau dans son état fondamental de vibration |0,0,0&gt qui s'exprime au première ordre comme:
\[EPZ=\frac{h\cdot \nu _{1}+h\cdot \nu _{2}+h\cdot \nu _{3}}{2}\]
L’énergie de point zéro est une énergie cinétique résiduelle de type purement quantique qui existe pour toute oscillation harmonique de fréquence ν. Cette énergie est responsable du fait que la matière ne peut s'arrêter de vibrer même lorsque l’on se trouve au zéro absolu T = 0K, où classiquement tout mouvement devrait cesser. L’énergie de point zéro se calcule moyennant la connaissance des fréquences associées à tous les modes normaux de vibration d’une molécule. Comme on vient de le voir, l’eau se caractérise par trois modes normaux de vibration. La table suivante compare ainsi les énergies de point zéro pour cinq isotopologues ayant un atome d’oxygène présentant un excès de neutrons (9 ou 10) par rapport au nombre de protons (8). Ici A.N. désigne l'abondance naturelle de chaque isotopologue. Pour l'eau lourde D2O qui possède un abondance naturelle de seulement 0,00000268%, on trouve EPZ = 3319 cm-1, soit environ 40 kJ·mol-1. Le terme Eres représente quant à lui toutes les résonances possibles entre les 3 modes normaux:
\[E_{res}=X_{11}\cdot v_{1}^{2}+X_{22}\cdot v_{2}^{2}+X_{33}\cdot v_{3}^{2}+X_{12}\cdot v_{1}\cdot v_{2}+X_{13}\cdot v_{1}\cdot v_{3}+X_{23}\cdot v_{2}\cdot v_{3}\]
où les termes Xij sont des fonctions complexes des trois fréquences de base ν1, ν2 et &nu3. Les atomes d'hydrogène étant des fermions, il faut aussi se préoccuper du caractère symétrique ou anti-symétrique de chaque état vibrationnel vis à vis de l'échange des positions des deux noyaux des atomes d'hydrogène. Les modes de nombre quantique v1 ou v2 étant de nature totalement symétrique, on a:
\[P_{2}\mid v_{1},v_{2},v_{3}> =\mid v_{1},v_{2},v_{3}>\]
pour toute valeur de v1 ou v2. En revanche, le mode associé au nombre quantique v3 est lui anti-symétrique pour l'échange des positions, ce qui signifie que les états où v3 est pair seront de type symétrique tandis que ceux où v3 est impair seront au contraire anti-symétrique:
\[P_{2}\mid v_{1},v_{2},v_{3}> =(-1)^{v_3}\mid v_{1},v_{2},v_{3}>\]
Cette propriété est importante en relation avec l'existence de deux isomères de spin "ortho" et "para" pour la molécule d'eau. La molécule d'eau isolée 16OH2 se caractérise ainsi par 12248 niveaux de vibration-rotation couvrant une gamme d’énergie de vibration (107 niveaux) allant jusqu’à 25 000 cm-1 et une gamme d’énergie de rotation (1026 niveaux pour l’état fondamental |000&gt) allant jusqu’à 21 000 cm-1. Pour mémoire, 1 eV = 1239,84 nm = 8065,5 cm-1, tandis que l’énergie thermique kBT disponible à T = 300K correspond à une énergie de 208,5 cm-1 = 26 meV (kB = 0,695 cm-1·K-1) et que la lumière visible couvre une gamme de nombre d’onde allant de 12500 cm-1 (λ = 800 nm) à 25000 cm-1 (λ = 400 nm). Parmi les 107 niveaux de vibration, tous ceux qui ont une énergie supérieure à 12500 cm-1 ne peuvent être atteints qu’en absorbant un photon de lumière visible. En particulier les deux harmoniques (ν1 + 3ν3) = 14924,84 cm-1 = 1,85 eV (λ = 670 nm) et (3ν1 + ν3) = 14727,09 cm-1 = 1,826 eV (λ = 679 nm) peuvent être atteintes par des photons de couleur rouge signifiant que vue sous une forte épaisseur une vapeur d’eau apparaîtra de couleur bleue. On notera également que le seuil de linéarisation par vibration-rotation de la molécule d’eau se situe à 11105 ± 5 cm-1.



Références

B.T. Darlin, D.M. Dennison, "The water vapor molecule", Phys. Rev., 57 (1940) 128-139.
Tennyson J. & al., «IUPAC critical evaluation of the rotational- vibrational spectra of water vapor. Part I Energy levels and transition wavenumbers for H217O, and H218O», J. Quant. Spectr. Rad. Transf., 110 (2009) 573-596.
Tennyson J. & al., «IUPAC critical evaluation of the rotational- vibrational spectra of water vapor. Part II Energy levels and transition wavenumbers for HD16O, HD17O and HD18O», J. Quant. Spectr. Rad. Transf., 111 (2010) 2160-2194.

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