L’existence probable de nano-bulles à l’interface entre les solides hydrophobes et l’eau semble être un phénomène très général. L’importance de ces nano-bulles est qu’elles peuvent altérer les propriétés interfaciales telles que les forces de surface, la lubrification et l’adsorption. Par exemple, l’existence de ces nano-bulles interfaciales pourrait permettre d’expliquer la force attractive à longue portée qui existe entre solides macroscopiques hydrophobes. L’existence de telles nano-bulles ne fait aujourd’hui plus aucun doute car on elles ont pu être mises en évidence par microscopie à force atomique (AFM) et que leur nature gazeuse a été démontrée par spectroscopie infrarouge et par résonance de plasmons de surface. De plus, on sait que de telles bulles se forment dès que l’eau devient sursaturée en gaz. Deux caractéristiques de ces nano-bulles, l’angle de contact et la stabilité soulèvent problèmes. Ce qui semble assez étrange avec les nano-bulles, c’est que l’angle de contact mesuré par AFM dépend de la taille de la nano-bulle et se trouve être est beaucoup plus petit que l’angle de contact observé sur des bulles macroscopiques et ce, quelque soit les substrats employés. Ceci est très clairement différent de la vue classique selon laquelle l’angle de contact est une propriété du matériau et doit être indépendant de la taille variant au contraire très fortement avec la nature du substrat. Les nano-bulles ont donc un comportement qualitativement différent des macro-bulles. L’autre point non élucidé est la stabilité à long terme des nano-bulles interfaciales qui peuvent une durée de vie de plusieurs jours. En effet, en raison de leur forte courbure, les nano-bulles possèdent une pression interne supérieure à celle de l’eau environnante ce qui devrait conduire à une diffusion du gaz depuis la bulle vers la solution. Il est important de remarquer qu’en raison du faible angle de contact, le rayon de courbure des bulles R est beaucoup plus grand que leur rayon de contact r.
Ainsi, bien que la hauteur typique de ces bulles (5-50 nm) et leur rayon de contact (100-1000 nm) sont faibles, la courbure est en général supérieure à 1 µm. Pour de l’eau pure, ceci signifie une différence de pression à travers l’interface inférieure à 1,4 atmosphères, valeur confirmée par des études spectroscopiques. Mais même avec une différence de pression aussi modeste, la stabilité sur plusieurs jours restent très surprenante. Toutes les expériences montrent que les bulles sont larges et présentent une courbure approximativement constante qui varie très peu en fonction du rayon de contact. Toutes ces observations sont cohérentes avec un effet négligeable des forces de surface à longue portée qui dépendent de l’angle de contact. Ainsi, si l’on applique l’équation de Young à ces nano-bulles, il vient:
\[\cos \theta = \frac{{{\gamma _{SL}} - {\gamma _{SV}}}}{{{\gamma _{LV}}}}\]
où γ se réfère à la tension de surface et les indices S, L, V aux phases solide, liquide et gazeuse respectivement. Comme l’équation d’Young s’applique aussi aux bulles macroscopiques sur le même solide avec des angles de contact différents, il s’ensuit qu’au moins une des tensions de surface a été modifié. Comme l’adsorption ne peut que faire décroître la tension interfaciale, l’adsorption doit avoir lieu soit à l’interface solide-gaz soit à l’interface liquide-gaz au sein de la nano-bulle interfaciale. Compte tenu de la très faible tension de surface des solides hydrophobes dans l’air (20-30 mJ·m-2), il s’ensuit que l’adsorption à l’interface solide-gaz est très peu probable car de toute manière cela impliquerait une valeur négative de γSV fin pouvoir rendre compte de l’angle de contact observé. Par conséquent, pour rendre compte d’un faible angle de contact il faut que γLV diminue fortement, signifiant qu’une adsorption a eu lieu à l’interface liquide-gaz, c’est-à-dire que l’interfaces doit contenir une sorte de contaminant. Une telle contamination n’est pas surprenante contenu de la manière dont on génère les nano-bulles en solution dans l’eau. Quel effet pourrait avoir une telle contamination sur la durée de vie des nano-bulles? Une diminution d’environ 40 % de la valeur de γLV par rapport à l’eau pure signifie que la chute de pression à travers l’interface se trouve réduite, ce qui implique une diminution de la force de dissolution entraînant par voie de conséquence une augmentation de la durée de vie.
Références
Une étude très récente [2] s'est intéressé au comportement du gaz à l'intérieur des nano-bulles de surface. Ainsi, les gaz de Knudsen diffèrent de leurs équivalents classiques par le fait que les molécules constituantes interagissent très peu entre elles car leur mouvement est piloté par les échanges d’énergie avec les parois du récipient contenant le gaz. Ainsi, dans un gaz de Knudsen, chaque élément de volume présente un flux de matière directionnel s’éloignant systématiquement de l’élément de surface qui brise la symétrie sphérique naturelle du gaz. La transition entre un régime brownien isotrope et un régime à symétrie brisée de Knudsen dépend du nombre de Knudsen Kn qui correspond au rapport entre le libre parcours moyen des molécules λ et l’échelle typique de taille du container L. Dans le cas d’une nano-bulle, le paramètre L correspond à la hauteur h de la bulle, ce qui conduit à:
\[Kn = \frac{\lambda }{h} = \frac{{{k_B}T}}{{\sqrt 2 \cdot\sigma \cdot R\cdot\left( {{p_0} + \frac{{2\gamma }}{R}} \right)}}\cdot\frac{1}{{(1 - \cos \theta )}}\]
où kB est la constante de Boltzmann, T la température, R le rayon de courbure de la nano-bulle, γ la tension de surface, σ la section efficace moléculaire de collision, p0 la pression ambiante et θ l’angle de contact solide-gaz. Pour des bulles macroscopiques R >> 2γ/p0, ce qui entraîne Kn << 1, autorisant un mouvement brownien isotrope. Pour des nano-bulle, on a au contraire R << 2γ/p0 et le nombre de Knudsen ne dépend alors que de l’angle de contact. Comme les angles de contact des nano-bulles avec des surfaces hydrophobes sont toujours trouvés dans l’intervalle 5° ≤ θ ≤ 25°, quelles que soient la nature chimique des ces surfaces, il s’ensuit que le comportement des gaz à l’intérieur des nano-bulles est toujours de type Knudsen.
Pour mieux comprendre ce qui se passe, considérons des molécules de gaz arrivant à l’interface liquide-gaz (voir figure ci-dessus). Ces molécules ne peuvent interagir entre elles en raison du fait que Kn > 1. Ceci entraîne qu’elles possèdent un mouvement directionnel qui les éloignent de la surface hydrphobe. Arrivé au sommet de la nano-bulle, elles sont soit réfléchies vers la bulle, soit transmises vers la solution. Cependant, partout ailleurs sur l’interface liquide-gaz les molécules de gaz arrivent de manière oblique, impliquant que leur vecteur vitesse peut être décomposé en deux composantes, l’une tangentielle et l’autre normale. La composante normale agit bien sûr comme le sommet de la bulle aboutissant à une réflexion ou à une transmission. La composante tangentielle quant à elle est toujours vers le sommet de la bulle où les exigences de continuité au niveau des contraintes de cisaillement imposent que:
\[{\left. {{\mu _g}\frac{{\partial u}}{{\partial n}}} \right|_g} = {\left. {{\mu _l}\frac{{\partial u}}{{\partial n}}} \right|_l}\]
où µ est la viscosité du fluide et ∂µ/∂n le gradient de vitesse tangentielle au niveau de la phase gazeuse (g) ou liquide (l). Ainsi, les molécules de gaz dans la nano-bulle présentent un flux global orienté vers le haut mais doivent se déplacer de manière radiale une fois qu’elles se dissolvent dans le liquide. Pour pouvoir changer de direction à l’interface liquide-gaz, elles doivent donc transférer de la quantité de mouvement aux molécules du liquide dans une direction allant du point de contact entre les 3 phases vers le sommet de la bulle. Par conséquent, ce flux vers le haut du gaz de Knudsen au sein de la nano-bulle induit un mouvement en volume du liquide adjacent. La force de ce courant dépend de la position précise sur l’interface liquide-gaz, l’effet étant maximum au voisinage du point de coexistence des 3 phases et nul au sommet de la bulle. Le flux du liquide tangent à l’interface liquide-gaz créée ainsi un courant circulatoire local en raison de la conservation de la quantité de mouvement. L’ordre de grandeur du flux de cisaillement est donné par la vitesse moléculaire rapportée l’échelle de taille de la bulle (∂µ/∂n|g ~ ug/R) tandis que la vitesse induite dans le liquide se trouve distribuée dans le rayon L de la boucle circulatoire (∂µ/∂n|l ~ ul/R). Ainsi, bien que le gaz à l’intérieur de la nano-bulle se dissolve effectivement dans le liquide, le liquide enrichi en gaz circule avec une vitesse:
\[{u_l} \sim \frac{{{\mu _g}\cdot{u_g}\cdot L}}{{{\mu _l}\cdot R}}\]
depuis le sommet de la bulle vers le point de coexistence des 3 phases, où le gaz peut entrer à nouveau dans la bulle soit par attraction potentielle par la paroi hydrophobe ou par adsorption sur le substrat puis diffusion de surface vers la nano-bulle.
L’existence d’un tel flux a pu être démontré par microscopie à force atomique en mode sans contact sur une nano-bulle d’argon en contact avec une surface de graphite pyrolytique hautement orientée. La ligne bleue sur la figure suivante représente ainsi un balayage au-dessus d’une nano-bulle, tandis que les lignes rouges représentent le champ de force mesuré à différentes distances du substrat. La force maximale exercée par ce flux a été trouvée égale à 1 nN à une distance de 250 nm au-dessus de la nano-bulle avec un flux encore mesurable aussi loin que 500 nm. On a pu également vérifier que la force mesurée n’était affectée ni par une variation de la tension électrique de ±1,5 V du levier par rapport à l’échantillon, ni par variation de la force ionique de l’eau liquide, preuve de l’origine non-électrostatique de ce flux. Le modèle a également pu être validé en égalisant la force maximale mesurée de l’ordre de 1,5 nN avec la force de traînée de Stokes:
\[{u_l} = \frac{F}{{6\pi \mu \cdot r}}\]
où r ≈ 30 nm correspond au rayon de courbure de la tête du levier AFM. Ceci conduit à une vitesse incroyable de 2,7 m·s-1 que l’on peut comparer à la vitesse théorique calculable à partir de la viscosité (µg = 2,1·10-5 Pa·s) et de la vitesse moléculaire du gaz argon (ug = 380 m·s-1), de la viscosité de l’eau (µl = 2,1·10-5 Pa·s), du rayon de la nano-bulle (R = 1,4 µm) et du rayon de la boucle circulatoire égale à la hauteur où l’on ne détecte plus de force (600 nm) diminuée de la hauteur de la nano-bulle (90 nm):
\[{u_l} \sim \frac{{{\mu _g}\cdot{u_g}\cdot L}}{{{\mu _l}\cdot R}} = \frac{{2,1 \times {{10}^{ - 5}} \times 380 \times (600 - 90)}}{{{{10}^{ - 3}} \times 1,4 \times {{10}^{ - 6}}}} \approx 2,9m\cdot{s^{ - 1}}\]
Bien évidemment, la vitesse de ce jet exceptionnel d’eau au sommet de la nano-bulle implique qu’il y a dégagement de chaleur par dissipation visqueuse selon l’équation:
\[\frac{{\Delta T}}{{\Delta t}} = \frac{{\mu _l^2}}{{\rho \cdot{C_p}}}\cdot{\left. {\frac{{\partial u}}{{\partial n}}} \right|_l} \approx {10^4}K\cdot{s^{ - 1}}\]
où ρ est la viscosité et Cp la chaleur spécifique de l’eau liquide. Le temps de dissipation de cette chaleur est quant à lui voisin de 2πL/ul, ce qui génère une augmentation de température du liquide ∆T ≈ 10 mK, valeur parfaitement négligeable. Tout ceci démontre de manière très claire que les nano-bulles de surface sont des objets en équilibre dynamique.
[1] Ducker W.A., «Contact Angle and Stability of Interfacial Nanobubbles», Langmuir, 25 (2009) 8907-8910.
[2] Seddon, J.R.T., Zandvliet H. J. W., Lohse D., «Knudsen Gas Provides Nanobubble Stability», Phys. Rev. Lett., 107 (2011) 116101.
[3] Craig V., «Surface nanobubbles or Knudsen bubbles?», Physics, 4 (2011) 70.
[3] Craig V., «Surface nanobubbles or Knudsen bubbles?», Physics, 4 (2011) 70.
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