mercredi 19 mars 2014

Le vide


Qu'est ce que le vide? Tout commence avec une tautologie énoncée par Parménide d'Élée qui traumatise encore de nos jours notre manière de penser: «L'être est et le non-être n'est pas». En effet si l’être changeait, explique-t-il, il deviendrait ce qu’il n’est pas. Il participerait donc du non-être, ce qui est impossible, puisque le non-être n’est pas. Parménide en conclut que l’être est unique et immuable, donc intemporel. Le monde changeant que nous observons n’est que l’apparence fugace d’un monde réel qui, lui, ne connaît pas le moindre changement. La thèse éléate de la négation du non-être allait bien évidemment susciter plusieurs réactions. Par exemple, le système d'Empédocle [1] qui nie encore l'existence du vide, sauve néanmoins les apparences en remplaçant l'Un invariable de Parménide par une réalité quadruple (feu, air, eau et terre), ou éléments (selon la terminologie de Platon et Aristote), qui se trouve être «racines de toutes choses», chaque racine accusant la propriété parménidienne de l'invariance quantitative. Associés de manière très intime à ces racines et chargé d'apporter l'impulsion nécessaire au mouvement sans lequel toute création serait impossible, Empédocle considère également deux «causes productrices» complémentaires expliquant la transformation des racines: l'Amour qui réunit le multiple en un et la Haine qui divise l'un en multiple. L'Amour règne sur le Sphairos, c'est à dire la sphère de ce qui est intelligible alors que la Haine règne sur le Cosmos, c'est à dire le monde sensible. Tout le problème dans cette philosophie est de savoir si le stade du tout unifié de la Sphère et celui de la multiplicité du monde divisé existent alternativement (interprétation d'Aristote) ou simultanément avec existence permanente d'un ordre et d'une harmonie immuables - l'Un - derrière la structure du monde en devenir (interprétation néo-platonicienne).
Il y avait aussi la philosophie de Leucippe de Milet qui répondait à l'éléatisme en accordant l'existence au non-être et en distribuant les propriétés de l'être sur une pluralité d'atomes infiniment nombreux et libres de se mouvoir dans le vide illimité. Le refus de Leucippe de formuler une hypothèse restrictive sur la forme et la taille des atomes en dessous d'une certaine limite a pour conséquence directe l'existence réelle, dans son univers infini, de toutes les formes d'atomes que la pensée peut concevoir, et entraîne donc la nécessité de grouper cette quantité infinie de corpuscules en un nombre infini de mondes. Zénon d’Élée allait se charger de riposter à ces réactions contre la thèse de l'Un parménidien avec ses fameux paradoxes démontrant l’impossibilité du mouvement et donc du vide, puisque sans vide, il ne peut y avoir de mouvement. On voit donc que le problème de l'origine du mouvement était l'une des préoccupations majeure de la physique grecque pré-socratique. Tous sont hantés par la question de vie ou de mort de l'univers puisque le monde continue visiblement à fonctionner malgré l'usure continuelle liée au mouvement des choses.
Pour résoudre ce problème crucial, Anaxagore de Clazomènes va comme Leucippe supposer que ce n'est pas la restitution des énergies qui assure une présence cosmologique illimitée. Toutefois, contrairement à Leucippe il veut conserver la représentation d'un monde unique qui ne se répète pas dans le temps et dans l'espace comme chez Empédocle. Afin de récupérer les pertes subies par le monde, il fallait donc pour le faire durer faire appel aux ressources inépuisables de l'infini. Mais cet infini ne pouvait être celui de Leucippe et il se devait de tenir dans les bornes d'un monde unique et fini.  C'est pour cette raison qu'Anaxagore plaça les ressources du devenir cosmique non pas dans l'impossibilité physique d'atteindre le terme de l'infiniment grand comme chez Leucippe, mais dans un infini de petitesse de manière à trouver la cause de la durée illimitée de l'existence cosmique dans l'impossibilité physique d'atteindre le terme de la progression dans l'infiniment petit.

Références:

[1] A. Stevens, «La physique d'Empédocle selon Simplicius», Revue belge de philologie et d'histoire, 67 (1989) 65-74.
[2] C. Mugler, «Le problème d'Anaxagore», Revue des Études Grecques,  69 (1956) 314-376.



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