mercredi 19 mars 2014

Cohérence ortho/para

L'étude des mouvement moléculaire de basse fréquence dans les liquides ne peut pas se faire via les spectroscopies classiques comme la spectroscopie infrarouge ou la diffusion Raman en raison de difficultés expérimentales dans la zone 1-100 cm-1. Ces problèmes peuvent être résolus par la spectroscopie de diffusion Rayleigh non résonante à quatre photons qui permet d'augmenter considérablement le rapport signal/bruit dû aux mouvements en cohérents de phase dans un volume macroscopique. La spectroscopie à quatre photons se base sur le mélange de deux fréquence lasers ω1 et ω2, avec balayage de fréquence dans la gamme (ω1 - ω2) dans les ailes du pic central de diffusion. On mesure ainsi l'état de polarisation de la radiation de fréquence ωS = ω1 - (ω1 - ω2) dont l'origine est lié au tenseur de rang 4 de susceptibilité cubique du milieu:

\[P_{i}^{(3)}=6\cdot \chi _{ijkl}^{(3)}\left ( \omega _S; \omega _1;\omega _2;-\omega _1\right )\cdot E_{j}^{(1)}\cdot E_{k}^{(2)}\cdot E_{l}^{(1)}\]

Cette susceptibilité cubique est en effet proportionnelle à la fonction de corrélation de l'anisotropie optique, où E(1) et E(2) sont les amplitudes des champs qui interagissent, tandis que

\[I_{S}\propto \left | \chi ^{(3)} \right |^{2}\cdot I_{1}^{2}\cdot I^{2}\]

est l'intensité du signal mesuré. Les champs lasers peuvent agir de manière cohérente avec l'ensemble des molécules et contrôle ainsi la phase de leurs mouvements: de translation, de rotation et de vibration dans le volume où les faisceaux laser de fréquence ω1 et ω2 se recouvrent. Cette technique a ainsi permis d'enregistrer le spectre des librations cohérentes des molécules d'eau dans la gamme 0-50 cm-1 qui coïncide parfaitement avec le spectre de rotation des molécules d'eau isolées en phase gazeuse. Or l'un des problèmes de base de la physique de l'eau liquide est de comprendre comment se comporte les liaisons hydrogène d'un milieu aqueux pour des molécules qui ont soit des spins nucléaires alignés pour les deux atomes d'hydrogène (eau "ortho"), soit des spins anti-parallèles (eau "para). Dans des conditions d'équilibre en phase vapeur, les isomères ortho- et para- sont en rapports 3:1 et présentent des spectres de rotation différents. Ces deux isomères sont donc très facilement identifiable en phase vapeur. Or, il a été observé qu'en faisant passer la vapeur d'eau dans un milieu poreux possédant une structure rugueuse ou bien sur des surfaces organiques (ADN, lyzozyme, collagène), on avait un enrichissement en isomère ortho dans la vapeur. Un tel enrichissement peut s'expliquer par le fait que l'isomère ortho- possède une énergie de point-zéro et donc une plus grande mobilité que l'isomère para- qui n'a pas d'énergie de point-zéro. Ceci fait que les isomères para- se caractérisent par une capacité plus grande à former des complexes moléculaires. Si la situation est donc claire en phase vapeur, il n'en va pas de même à l'état liquide pour ce qui concerne la pertinence de distinguer entre les deux isomères. La vapeur d'eau se caractérise par un fort doublet ortho/para à 79,8 cm-1 pour l'isomère para- et 88,1 cm-1 pour l’isomère ortho- nettement plus intense que les autres raies, une zone spectrale très difficile d'accès pour les spectroscopies ordinaires. La figure suivante montre le spectre 4-photons d’une eau liquide Milli-Q dans la gamme 0-100 cm-1 avec en encart un zoom sur la zone 73-91 cm-1.



On y retrouve bien le fort doublet ortho/para. La résonance à 79,8 cm-1 correspond ainsi à la transition <3,1,3|4,0,4> due à l’isomère para-, tandis que la résonance à 88,1 cm-1 correspond à la transition <3,0,3|4,1,4> due à l’isomère ortho-. Les nombres quantiques associés aux états rotationnels autorisés par la physique quantique sont ici notés |J, Ka, Kc>, la paire de symbole |...> faisant référence à un état quantique au sens de Dirac et le bracket <fin|ini.> représentant un saut quantique depuis l’état initial |ini> vers l’état final |fin>. Les autres résonances d’intensité beaucoup plus faibles peuvent être attribuées aux transitions rotationnelles du niveau fondamental:

Eau ortho-

\[\bar{\nu }\left \langle 5,1,4\mid 5,0,5 \right \rangle=74,1\;cm^{-1}\]

\[\bar{\nu }\left \langle 7,2,5\mid 7,1,6 \right \rangle=78,2\;cm^{-1}\]

\[\bar{\nu }\left \langle 4,1,4\mid 3,0,3 \right \rangle=88,1\;cm^{-1}\]

Eau para-

\[\bar{\nu }\left \langle 4,0,4\mid 3,1,3 \right \rangle=79,8\;cm^{-1}\]

\[\bar{\nu }\left \langle 9,4,6\mid 8,5,3 \right \rangle=85,0\;cm^{-1}\]

\[\bar{\nu }\left \langle 12,7,5\mid 11,8,4 \right \rangle=90,8\;cm^{-1}\]

La figure suivante compare les spectres 4-photons de la protéase α-chymotripsine et de l’eau liquide Milli-Q dans la gamme 73-91 cm-1.



Pour pouvoir comparer les deux spectres il a fallu multiplier par 8 le spectre de l’eau. Les résonances rotationnelles des isomères ortho- et para- sont indiquées par des flèches fines (ortho-) ou fortes (para-). Les transitions suivantes de l’eau ortho- peuvent être identifées dans ce spectre:

Eau ortho-

\[\bar{\nu }\left \langle 3,0,3\mid 3,2,1 \right \rangle=73,3\;cm^{-1}\]

\[\bar{\nu }\left \langle 5,1,4\mid 5,0,5 \right \rangle=74,1\;cm^{-1}\]

\[\bar{\nu }\left \langle 9,4,5\mid 9,3,6 \right \rangle=77,3\;cm^{-1}\]

\[\bar{\nu }\left \langle 9,3,6\mid 9,2,7 \right \rangle=81,0\;cm^{-1}\]

\[\bar{\nu }\left \langle 4,3,2\mid 4,2,3 \right \rangle=82,2\;cm^{-1}\]

\[\bar{\nu }\left \langle 10,4,7\mid 9,5,4 \right \rangle=83,5\;cm^{-1}\]

\[\bar{\nu }\left \langle 7,3,4\mid 7,2,5 \right \rangle=85,6\;cm^{-1}\]

\[\bar{\nu }\left \langle 4,2,3\mid 4,1,4 \right \rangle=86,4\;cm^{-1}\]

\[\bar{\nu }\left \langle 4,1,4\mid 3,0,3 \right \rangle=88,1\;cm^{-1}\]

On remarque aussi que la raie

\[\bar{\nu }\left \langle 4,1,4\mid 3,0,3 \right \rangle=88,1\;cm^{-1}\]

est dominante dans les deux spectres. D’autre part la raie

\[\bar{\nu }\left \langle 4,0,4\mid 3,1,3 \right \rangle=79,8\;cm^{-1}\]

de l’isomère para- est quasiment invisible. Ceci confirme qu’il y a adsorption préférentielle de l’isomère para- aussi bien en phase gazeuse qu’en phase liquide. Le même type d’observation s’applique également à des mélanges H2O/H2O2.

Références

A.F. Bunkin, S.M. Pershin, and A.A. Nurmatov, «Four-photon spectroscopy of ortho/para spin-isomer H2O molecule in liquid water in sub-millimeter range», Laser Phys. Lett., 3, (2006) 275–277.
A.F. Bunkin, S.I. Lebedenko, A.A. Nurmatov, S.M. Pershin, «Four-photon Rayleigh-wing spectroscopy of the aqueous solution of a-chymotrypsin protein’, Quantum Electronics, 36 (2006) 612-615.

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