jeudi 20 mars 2014

Atomes

Vers la fin du dix-neuvième siècle, la théorie atomique de la matière qui trouve son origine dans la Grèce antique arrive enfin à s’imposer comme la seule alternative possible à la formalisation de la chimie. Le chimiste et mathématicien russe Dmitri Mendeleev est alors une autorité reconnue pour avoir établi une classification périodique des éléments qui a sorti définitivement la chimie moderne de son cocon hermétique et alchimique. La chimie triomphe sur tous les tableaux. Les anciens pigments de couleurs hors de prix sont remplacées par des molécules colorantes synthétiques bon marché, les premiers médicaments et les premiers vaccins voient le jour, la métallurgie bat son plein pour fabriquer des machines à vapeur, les premiers polymères sont découverts, les premiers engrais chimiques font leur apparition et révolutionnent déjà les pratiques agricoles, on découvre chaque jour de nouveaux catalyseurs, etc... La pression qu’exerce la théorie atomique de la matière sur la vie de tous les jours est telle qu’un physicien français, Jean Perrin, va mesurer le nombre d’Avogadro au moyen de 13 techniques différentes afin de convaincre les derniers récalcitrants, français pour la plupart, d’embrasser la cause atomique et de renoncer à leurs équivalents inutiles et non pertinents.



C’est dans ce contexte que les physiciens vont bien sûr s’intéresser à l’atome et découvrir qu’il s’agit en fait d’une petite boule d’électricité présentant des charges positives et négatives en nombre égal mais réparties de manière très inégale dans l’espace.



Jusqu’en 1897, les scientifiques pensaient que les atomes étaient indivisibles et constituaient donc les particules ultimes de matière. En étudiant les rayons cathodiques émis par les tubes de Crookes, Le physicien anglais Joseph John Thomson montra en 1897 que les rayons cathodiques étaient déviés par un champ électrique et que les atomes contenaient donc des corpuscules de charge négative 1800 fois plus légers que l’atome d’hydrogène. Suite aux travaux antérieurs du physicien irlandais George Johnstone Stoney (1826-1911) qui avait désigné dès 1874 par le terme électron l’atome d’électricité, ces nouveaux corpuscules furent identifiés aux électrons responsables des phénomènes électriques. Thomson pensait que ces corpuscules étaient émis par les atomes de gaz résiduels restant dans le tube. Il en conclut que les atomes étaient divisibles, et pour expliquer la neutralité électrique de l’atome, il proposa que les électrons se déplacent dans une mer uniforme de charges positives, donnant naissance au modèle du plum pudding. Un fait maintenant oublié sur ce modèle est qu’il s’agissait, contrairement à ce que son nom suggère, d’un modèle dynamique, et non statique. Les électrons étaient libres de tourner dans un gel ou nuage de substance positive. Ces orbites étaient stabilisées dans le modèle par le fait que lorsqu'un électron se déplaçait loin du centre du nuage de matière positive, il était «rattrapé» par une force d''attraction positive, car il y aurait alors plus de matériau de charge opposé dans son orbite en accord avec le théorème de Gauss de l'électrostatique.

Vers 1909 le physicien néozélandais Ernest Rutherford et ses deux associés Hans Geiger et Ernest Mardsen constatèrent que le modèle du plum pudding de J.J. Thomson ne permettait pas d'expliquer certaines observations faite en envoyant des faisceaux de particules alpha sur des feuilles métalliques d'aluminium, de fer, de plomb et surtout d'or. Ces expériences furent réalisées sous vide dans une obscurité parfaite par Geiger et Mardsen et interprétées par Rutherford.



Du dibromure de radium disponible grâce aux travaux de Marie Curie fut placé dans une boîte produisant un faisceau de particules α chargées positivement qui fut envoyé sur une fine feuille d’or d’une épaisseur de quelques microns. Derrière cette feuille d'or, un écran enrichi en sulfure de zinc ZnS était placé permettant de visualiser, par un scintillement lumineux, le point d'impact des particules α avec l'écran. Plusieurs minutes après la disposition du matériel, différents points lumineux apparaissaient sur l'écran avec une majorité de particules α qui traversent la feuille d'or, sans être déviées et avec une partie de ces particules, de l'ordre de 0,01 %, qui sont déviées à grands angles. Comme le soulignait Rutherford lui-même: "C'est un peu comme si vous tiriez un obus de 50 mm sur une feuille de papier et que cette dernière vous le renvoie à la figure au lieu de se laisser traverser..."

De cette expérience cruciale, Rutherford déduisit que la matière possédait une structure hautement lacunaire étant constituée essentiellement de vide, raison pour laquelle la plupart des particules ne sont pas déviées. Il existe de même des îlots de charge positive qui repoussent les particules α. L'ordre de grandeur de ces îlots est infiniment petit par rapport à la dimension de l'atome lui-même. En supposant que l’énergie cinétique se transforme en énergie électrostatique lors de d’une collision, Rutherford fut capable d’estimer l’ordre de grandeur de la taille d’un noyau d’atome d’or, moyennant la connaissance de la masse (m = 6,7⨯10-27 kg, de la charge (q1 = 2⨯1,6⨯10-19 C) et de la vitesse (v = 2⨯107 m·s-1) des particules α et de la charge d’un noyau d’or (q2 = 79⨯1,6⨯10-19 C) et obtint une taille extraordinairement petite de 10 millionième de milliardième de mètre (10-14 m). Sachant que l'atome neutre est 10 000 fois plus grand (10-10 m), cela signifie qu'en volume, l'atome est constitué à 99,9999999999% de vide...



Suite à cette expérience, Rutherford proposa dès 1911 un modèle planétaire de l'atome: les électrons, portant les charges négatives, étaient satellisés autour d'un noyau positif très petit. À peine né, le modèle planétaire de l’atome fut condamné à mort sans appel par les lois de la physique classique. En effet, selon les équations de Maxwell, toute charge électrique subissant une accélération a rayonne de l’énergie E avec un taux proportionnel au carré du produit de la charge par l’accélération. Ceci est une loi incontournable de la physique responsable de toutes les émissions télé ou radio caractérisant notre époque. On ne peut tout simplement pas remettre cela en question. Or, comme on le sait bien, toute masse m contrainte à tourner sur un cercle de rayon R avec une vitesse v subit une accélération radiale et centripète. Par conséquent, si comme le prétend Rutherford, les électrons gravitent autour du noyau comme les planètes gravitent autour d’une étoile, l'atome doit rayonner son énergie mécanique de manière continue sous la forme d’ondes électromagnétiques.



La figure ci-dessus montre comment évaluer la durée de vie approximative d’un atome selon la physique classique. Il suffit pour cela d’identifier le produit de la masse par l’accélération centripète maintenant l’électron sur orbite à la force de Coulomb, ce qui fournit la valeur de l’accélération a. Ensuite il faut appliquer le théorème du viriel pour obtenir une expression de l’énergie en fonction du rayon de l’orbite r et égaliser le produit du taux de variation dans le temps de ce rayon par le taux de variation de l’énergie à la puissance électromagnétique rayonnée P. Tous calculs faits, on trouve que la taille R de l'atome décroît au cours du temps avec une durée de vie T proportionnelle au cube de la taille de départ:

T(sec) = 3,15·1020xR(m)3

Partant d’une taille R voisine de 1 Å = 10-10 m, valeur déduite de la théorie cinétique des gaz, la durée de vie d’un tel édifice sera de donc l’ordre de 315 millième de milliardième de secondes (315 ps). Un peu bref pour une chose censée être éternellement stable. En effet, d’un côté toute la chimie clamait haut et fort que toute matière était faite d’un assemblage d’atomes indéfiniment stables ayant une taille voisine de 10-10 m et d’un autre côté la physique démontrait piteusement que ces mêmes atomes avaient une durée de vie ridiculement faible et qu’au lieu d’un monde fait d’atomes, on devrait avoir un monde rempli de rayonnements venant de toutes les directions. On ne pouvait évidemment pas continuer comme cela et une révision sérieuse des lois de la physique s’imposait. Mais comment faire pour provoquer une révolution sans toucher aux avantages acquis? Telle était l’épineuse question de ce début de vingtième siècle et qui nécessita le développement de la physique quantique.

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