samedi 31 mai 2014

Nébuleuses

Quel est le lieu de naissance de l'eau dans l'univers? Autrement dit comment faire pour que l’hydrogène fabriqué lors du big-bang et l’oxygène fabriqué au cœur des étoiles se rencontrent afin de donner naissance à une molécule triatomique de formule H2O? Vu la pression extraordinairement basse (environ 1 atome d’hydrogène par mètre cube d’espace) qui règne dans l’espace intergalactique, il est hors de question d’espérer voir un atome d’hydrogène rencontrer un atome d’oxygène pour fabriquer le radical OH·, première étape obligatoire pour fabriquer l'eau. Et même si cette rencontre avait bien lieu, cette association serait immédiatement brisée par les photons très énergétiques émis par le rayonnement stellaire. En fait, pour que l’eau se forme il faut que 3 conditions soit réunies:

i) Avoir une température ni trop chaude pour éviter que les liaisons O-H ne se cassent par vibration une fois formées, ni trop froide pour que la probabilité de rencontre des deux partenaires ne soit pas négligeable.
ii) Disposer d'un milieu sombre où la lumière ne peut pénétrer que difficilement afin d'éviter la dissociation photochimique des liaisons.
iii) Présence d’une surface solide pour que l’eau ne s’échappe pas dans le milieu interstellaire après sa formation.


L’eau naît donc dans ce que l’on appelle les nébuleuses qui sont de gigantesques nuages de gaz et de poussières où se forment les étoiles et plus tard les planètes.


Dans les nuages diffus où règne une température de 80K et une pression de 10-20 bar, l’eau se trouve essentiellement sous forme gazeuse. Dans les nuages moléculaires denses où règne une température de 10K et une pression de 10-18 bar, l’eau existe sous forme de glace amorphe «sale» recouvrant la surface de grains de poussières composés de matière carbonée ou silicatée. Dans le milieu interstellaire, l’hydrogène atomique est de loin l’espèce la plus abondante. Par conséquent, l’adsorption de ces atomes d’hydrogène conduisant à la formation d’hydrogène moléculaire H2 sont des évènements assez fréquents.  Lorsque des atomes d’hydrogène et d’oxygène s’approchent de la surface d’une poussière cosmique, cinq types de réactions sont attendues si les espèces s’adsorbent sur deux sites de surface (s) suffisamment proches:

H·(s) + H·(s) → H2(s)
O··(s) + O··(s) → O2(s)
H·(s) + O··(s) → OH·(s)
O2(s) + O··(s) → O3(s)
2 OH·(s) → H2O2(s)

Comme on peut le constater, il est donc impossible d’obtenir directement de l’eau à partir d’hydrogène et d’oxygène atomique. Sur une surface carbonée, où l’énergie d’adsorption des espèces est assez faible, l’eau peut être obtenue dès que l’hydrogène moléculaire rencontre le radical hydroxyle:

H2(s) + OH·(s) → H2O(s) + H·(s)

ou si un atome d’hydrogène rencontre de l’eau oxygénée:

H2O2(s) + H·(s) → H2O(s) + OH·(s)

L’eau peut aussi naître lorsque de l’hydrogène atomique bombarde une surface où se trouve de l'oxygène moléculaire adsorbés:

H· + O2(s) → HO2·(s)
H· + HO2·(s) → H2O2(s)
H· + H2O2(s) → H2O(s) + OH·(s)
H· + HO·(s) → H2O(s)

Sur une surface silicatée comme les olivines où l’énergie d’adsorption des espèces est beaucoup plus forte, la formation de l'eau peut se faire selon plusieurs voies qui ont été modélisées dans le cas de la forstérite Mg2SiO4, où l’énergie d’adsorption de l’hydrogène atomique est de -102 kJ·mol-1. Cette adsorption se produit au niveau d’un atome d’oxygène produisant un silanol Si-OH et un électron de surface au voisinage du magnésium. Cet électron de surface est un site extrêmement réactif, pouvant favoriser l’arrivée d’une deuxième atome d’hydrogène, conduisant à la formation d’hydrogène moléculaire H2. Mais ce même site peut aussi attirer un atome d’oxygène O·· qui présente une énergie d’adsorption de -432 kJ·mol-1. Une fois l’hydrogène et l’oxygène atomique adsorbés sur deux sites adjacents, ils peuvent former une radical hydroxyle adsorbé:

H·(s) + O··(s) → OH·(s) (∆H = +4 kJ·mol-1, ∆E# = +27 kJ·mol-1)

Le radical hydroxyle peut alors réagir avec un second atome d’hydrogène sans barrière d’activation:

H·(s) + OH·(s) → H2O(s) (∆H = -511 kJ·mol-1)

Si le radical hydroxyle ne se forme pas rapidement, un second atome d’hydrogène peut réagir avec l’atome d’oxygène adsorbé pour créer tout d’abord de l’eau adsorbée sous forme dissociée, puis après neutralisation à de l’eau adsorbée ou de l’eau gazeuse:

H·(s) + O··(s) + H·(s) → OH-(s) + H+(s) (∆H = -501 kJ·mol-1)
OH-(s) + H+(s) → H2O(s) (∆H = -5 kJ·mol-1, ∆E# = +18 kJ·mol-1)
OH-(s) + H+(s) → H2O(g) (∆H = +91 kJ·mol-1)

On voit donc que la naissance de l'eau dans l'univers à partir d'hydrogène et d'oxygène atomique nécessite impérativement la présence de surface solides. On a donc bien affaire ici à un type très particulier d'eau morphogénique, qui implique une monocouche neutre [H2O(s)], éventuellement dissociée en paires radicalaires [H·(s) + OH·(s)] ou en paires ioniques [OH-(s) + H+(s)]. C'est donc essentiellement sous la forme de glace amorphe ou d'eau morphogénique monocouche, que l'eau peut arriver sur toute planète via des comètes ou des météorites et former si les conditions de température et de pression sont favorables de véritables océans comme on en voit sur Terre mais aussi sur une lune comme Ganymède.

Référence
T. P. M. Goumans, C. R.A. Catlow, W. A. Brown, J. Kästnerz & P. Sherwood, «An embedded cluster study of the formation of water on interstellar dust grains», Phys. Chem. Chem. Phys., 11 (2009) 5431-5436.

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