mercredi 28 mai 2014

Eau et vie


L'eau c'est la vie!!! Qui ne connaît pas ce slogan. En fait, l’agronome Ross Aitken Gortner préconisait dès 1929 de distinguer l’eau «libre» que l’on pouvait retirer sans nuire à la vie, de l’eau «liée» dont le retrait signifiait la mort [1]. Ceci amène à se poser la question du taux d'hydratation en relation avec la vie et la mort des êtres animés. Par exemple, un être humain est constitué, en masse, de 50 à 65% d’eau selon la teneur en graisses [2]. De manière plus générale, la masse corporelle maigre, c’est à dire hors graisses, de la plupart des mammifères est de 73% [3]. Sur ce plan, il n'y a donc aucune différence de fond entre un mammifère et être unicellulaire comme la bactérie Escherischia Coli. Pour mémoire il est relativement aisé d'estimer son eau corporelle totale (ECT) en litres moyennant la connaissance de son âge A en années, de sa hauteur T en centimètres et de son poids M en kilogrammes [4]:

ECT(Homme) = 2,447 - 0,09516xA + 0,1074xT + 0,3362xM
ECT(Femme) = -2,097 + 0,1069xT + 0,2466xM = 0,732x(M - MG)

Ainsi pour un homme de 50 ans, faisant 1m80 de haut pour 80 kg de poids; on trouve ECT = 56 L ≈ 56 kg, soit une pourcentage d'eau en masse de 70%. Pour une femme faisant 1m60 de haut et pesant 50 kg, on aura: ECT = 27 L ≈ 27 kg, soit un pourcentage d'eau en masse de 55%. Le poids maigre corporel (PMC) qui est la différence entre le poids total et la masse graisseuse peut quant à lui être obtenu à partir de l'Indice de Masse Corporelle (IMC) défini comme le rapport entre le poids total exprimé en kilogrammes et le carré de la taille exprimée en mètres (IMC = M/T2) [5]:

PMC(Homme) = Mx(1,10 - 0,0128xIMC)
PMC(Femme) = Mx(1,07 - 0,0148xIMC)

Dans le cas de l'homme pris comme exemple précédemment, on a: IMC = 24,7 et PMC = 63 kg. Le même calcul pour la femme donne quant à lui: IMC = 19,5 et PMC = 39 kg. Pour mémoire la Dépense Énergétique au Repos (DER) exprimée en kcal s'obtient en multipliant le PMC par 30. Le métabolisme de base de l'homme est donc de 30x63 = 1890 kcal·j-1 = 7908 kJ·j-1 ≈ 92 W, tandis que celui de la femme vaut: 30x39 = 1170 kcal·j-1 = 4895 kJ·j-1 ≈ 57 W. Une règle très facile à retenir est de consommer 1 mL d'eau pour chaque kcal d'énergie dépensée [6]. Ainsi notre homme test doit absorber au minimum 1,9 L d'eau par jour tandis que les besoins pour notre femme test sont 1,2 L par jour. On notera que ces valeurs s'appliquent à une personne à jeûn, allongée et détendue. Pour des personnes actives les recommandations sont de 3,7 L pour l'homme adulte et de 2,7 L pour la femme adulte, ces valeurs incluant l'eau plate ainsi que l'eau en provenance de la nourriture solide et des boissons autres que l'eau plate.
Que se passe-t-il amintenant si un être humain se déshydrate? Tout d'abord, l'ECT varie quotidiennement entre 0,22% et 0,48% dans des environnements tempérés en raison d'un jeu complexe et intriqué entre les réponses rénales et neuroendocrines [6]. La plupart des personnes peuvent perdre 3-4% d'eau corporelle sans ressentir de troubles particuliers [7]. Une déshydratation de 5-8% provoque vertiges, étourdissements et sensations de fatigue. Au-delà de 10% on constate une détérioration physique et mentale accompagnée d'une soif intense. Enfin une déshydratation comprise entre 15 et 25% du poids corporel conduit inévitablement à la mort de la personne.  

Des êtres vivants moins sophistiqués que l'homme peuvent bien sûr dépasser ces taux de déshydratation. Un chameau par exemple supporte très bien une perte d'eau de 25% [7], tandis qu'un ver de terre de type Lumbricus terrestris, constitué à 85% d'eau, peut perdre jusqu’à 60% de sa masse corporelle sans mourir [8]. Par contre, au-delà de ce chiffre, le ver ne peut plus revenir à la vie lorsqu’on l’hydrate à nouveau. Tel n’est pas le cas du tardigrade, qui peut être déshydraté jusqu’à une teneur massique en eau de 2-3% et revenir à la vie en rajoutant simplement de l’eau [9] comme le montre la vidéo suivante:


Mais le record en la matière est cependant détenu par la crevette marine Artemia salina, qui peut être déshydratée jusqu’à une teneur massique en eau de seulement 0,69% sans mourir [10]... Pour survivre, le tardigrade et la crevette remplacent tout simplement leur eau par un sucre, le tréhalose, afin de préserver la structure de leurs membranes et de leurs protéines. Mais tous les chimistes savent qu’un sucre n’est jamais qu’un hydrate de carbone, c’est à dire grosso modo une surface carbonée recouverte d’eau. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le sucre est donc bien un exemple, certes très particulier, d’eau morphogénique. À l’autre extrême, on trouve un animal comme la méduse qui est constituée à 98% en masse d’eau morphogénique, c’est à dire rappelons-le, d’une eau qui ne coule pas.
L’expérience sur un œuf de grenouille constitué de quelques milligrames de matière sèche et rapportée par R.A. Gortner dans son livre de 1929 [1] illustre parfaitement ce point. Après fécondation de l’œuf, on le place dans de l’eau stérile et on constate l’apparition au bout de plusieurs semaines d’un têtard pouvant faire jusqu’à 2 cm de long et pesant plusieurs grammes. Pour croître et se développer, ce têtard n’a donc eu à sa disposition que les nutriments initialement présents dans l’œuf de départ et après analyse, on trouve que la quantité de matière sèche dans le têtard a bien évidemment diminuée par rapport à l’œuf initial puisqu’une partie de la matière organique a été éliminée sous forme de CO2 et de H2O pour produire de l’énergie. Tout le gain de masse est donc lié à la transformation d’une eau liquide «inerte» en eau morphogénique «vivante». Notre têtard est donc constitué de plus de 99% d’eau (ici en masse et non en nombre) et il serait parfaitement ridicule de considérer que la vie va se nicher uniquement dans les 1% de substances organiques et minérales qui ne sont pas de l’eau.

Une autre évidence du lien étroit unissant l’eau morphogénique et phénomènes vitaux est fourni par le fait que le taux d’hydratation d’un organisme donné est d’autant plus bas que ce dernier est âgé. Ainsi des expériences menées en 1932 sur des embryons de porc en cours de croissance ont montré que l’on passe d’une hydratation de plus de 97% en masse pour une longueur de 2-4 mm jusqu’à une valeur de l’ordre de 89% en masse lorsque l’embryon atteint 240 mm de longueur comme le montre le tableau suivant [12a]:

Cet autre tableau résume ce que l’on observe chez l’être humain:



Il est clair ici que la capacité des protéines à structurer l’eau de manière à obtenir une substance hydratée souple et élastique est très lié au fait d’être vivant et de vieillir. Combien de personnes savent qu’il est possible d’estimer l’espérance de vie de quelqu’un simplement en pinçant le dos de sa main de manière à produire un plissement. Le vitesse à laquelle se plissement disparaît lorsqu’on relâche la peau est proportionnelle à l’espérance de vie et constitue un facteur décisif de longévité.

Pour conclure, nous citerons le témoignage l’agronome Ross Aiken Gortner qui fut le premier à percevoir clairement le rôle fondamental que jouait l’eau pour l’émergence de la matière vivante [12b]: «Nous pouvons conclure par conséquent que les forces qui lient les molécules d’eau à la surface des colloïdes lyophiles sont de même nature que les forces qui sont responsables de la cohésion de l’eau liquide et qui immobilisent aussi les molécules d’eau dans les cristaux de glace. Cependant, il y a des évidences que les forces agissant sur une surface où à une interface soient de plus forte intensité que les forces d’association entre molécules d’eau ou que les forces qui tendent à arranger les molécules d’eau en réseaux cristallins. En conséquence, au moins une partie des molécules participant au film d’eau lié peut se trouver avoir une activité plus faible que l’activité des molécules d’eau dans la glace ordinaire.»

Ce qui est symptomatique, c’est que la dernière phrase n’apparaît que dans la seconde édition de 1938 du livre de R. A. Gortner et a disparu corps et âme dans la troisième édition de 1949, livre écrit en collaboration avec son épouse, biochimiste et nutritionniste [13]. De plus, on notera que la section intitulée «Rôle de l'eau dans les organismes vivants», passa de 19 pages dans la première édition [1] à 27 pages dans la seconde édition [12] pour chuter à seulement 4 pages dans la troisième édition [13]. Tout ceci montre que si tout organisme se déshydrate en vieillissant, il en de même de la biologie...

Références:
[1] R.A. Gortner, «Outlines of Biochemistry», John Wiley & Sons, New York (1929), pp. 227-245.
[2] C.A. Horswill & L.M. Janas, «Hydration and health», Amer. J. Lifestyle Med., 5 (2011) 304-315.
[3] N. Pace & E. N. Rathbun, «Studies on body composition: III. The body water and chemically combined nitrogen content in relation to fat content»,  J. Biol. Chem., 158 (1945), 685-691. 
[4] P.E. Watson, I.D. Watson & R.D. Batt, «Total body water volumles for adult males and females estimated from simple anthropometric measurements», Amer. J. Clin. Nutr., 33 (1980) 27-39.
[5] W. P. T. James, «Research on Obesity. A Report of the DHSS⁄MRC Group», Her Majesty's Stationery Office (H.S.M.O.), London (1976).
[6] M.N. Sawka, S.N. Cheuvront & R. Carter III, «Human water needs», Nutrition Revs., 63 (2005) S30-S39.
[7] F. Ashcroft, «Life at the extremes, the science of the survival», Harper Collins, London (2000), p. 135.
[8] B.I. Roots, «The water relation of Earth worms: II. Resistance to dessication and immersion, and behaviour when submerged and when allowed a choice of environment», J. Exp. Biol., 33 (1956) 29-44.
[9] J.H. Crowe, «Evaporative water loss by tardigrades under controlled relative humidities», Biol. Bull., 142 (1972) 407-416.
[10] J. S. Clegg, A. C. Zettlemoyer & H. H. Hsing, «On the residual water content of dried but viable cells», Experientia, 34 (1978) 734-735.
[11] L. H. Hyman, «The water content of medusae», Science, 87 (1938) 166-167.
[12] R.A. Gortner, «Outlines of Biochemistry», 2nd Edition, John Wiley & Sons, New York (1938), pp. 275-306. (a) p. 277, (b) p. 304
[13] R.A. Gortner & W.A. Gortner, «Outlines of Biochemistry», 3rd Edition, John Wiley & Sons, New York (1949), pp. 245-246.

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