jeudi 29 mai 2014

Âge de la Terre


Pour quelle raison le cœur de la Terre possède-t-il un noyau en fusion? La figure ci-dessus montre que c'est en raison de la radioactivité des roches contenant du potassium, du thorium ou de l'uranium qui génère une énorme quantité de chaleur. À la fin du XIXème siècle, une controverse opposa les géologues au très renommé Lord Kelvin (William Thomson), monstre sacré de la science thermodynamique [1]. En effet, les températures mesurées dans les mines étaient audacieusement extrapolées par les géologues pour aboutir à une température voisine de 200 000 °C au centre de la Terre, suggérant l'existence d'un immense océan magmatique surmonté par une mince croûte solide mince d'une cinquantaine de kilomètres d'épaisseur. Dès 1860, Kelvin critiqua cette conception et appliqua les lois de Fourier de conduction de la chaleur en se basant sur la température actuelle de la Terre, sa température initiale supposée et son taux de refroidissement. Sa conclusion en 1862 était donc  qu’il ne s’était écoulé qu’entre 20 et 400 millions d’années depuis la consolidation du globe en une masse solide avec un âge le plus probable voisin de 98 millions d'années. Puis en affinant sans cesse ses calculs il arriva au chiffre de seulement 24 millions d'années en 1895. Les géologues trouvaient eux cette durée beaucoup trop courte pour caser toute l'évolution de la vie terrestre dans un laps de temps aussi bref, mais l’autorité de Kelvin en thermodynamique était difficile à contester. En 1896, Henri Becquerel découvre le phénomène de radioactivité de l'uranium, suivi de la découverte du thorium, du polonium et du radium par Marie Curie dès 1897. En 1903, on constate que le radium dégage en permanence tant de chaleur qu'il garde une température plus élevée que la matière qui l'entoure, ce qui remet bien sûr en cause les calculs de Kelvin qui supposait que la chaleur exhalée par la Terre provenait uniquement de sa condensation initiale. Des traces de radioactivité sont en effet systématiquement détectées dans les sols et dans les eaux et l'on constate alors avec effroi que compte tenu de la teneur en radium des minéraux et des roches la Terre ne serait pas en train de refroidir, mais plutôt de s'échauffer! En fait, les lois de la radioactivité via la notion de demi-vie donnent une mesure absolue du temps, ce qui permet d'envisager les premières datations géologiques. Le physicien Ernest Rutherford constate ainsi que la quantité d'hélium produite est proportionnelle au nombre de désintégrations subies par l'uranium, et donc au temps. En estimant le taux annuel de production d'hélium par l'uranium, Rutherford arrive ainsi à un âge de 140 millions d'années pour un niobate d'yttrium riche en uranium. Le minéral est donc plus vieux que la Terre elle-même... En fait la très grande volatilité de l'hélium entraîne une grande incertitude sur le taux annuel de production d'hélium par l'uranium ou le thorium. En se basant sur le plomb terme final de la désintégration de l'uranium, un chimiste de Yale, Bertram Boltwood arrive en 1907 à des âges allant de 410 à 2200 millions d'années, ce qui invalide une nouvelle fois au moyen d'une simple règle de trois les calculs savants de Kelvin. Le pire, c'est que les calculs de Kelvin sont parfaitement justes, mais postulent tous l'absence de sources de chaleur internes dans la Terre, c'est à dire ignorent le phénomène de radioactivité. Les géologues sont eux dubitatifs car si Kelvin s'est trompé, il est tout à fait envisageable que Rutherford ou Boltwood se trompent aussi. En effet, Kelvin s'oppose irréductiblement à la théorie des désintégrations radioactives et refusa jusqu'à sa mort de répudier ses calculs géologiques. Il faudra en fait plusieurs années pour que les géologues mettent en cause les estimations de Kelvin, puis vingt-cinq ans d'efforts d'une jeune génération menée par le géologue anglais Arthur Holmes pour arriver à la conclusion que la Terre s’est solidifiée il y a environ cinq milliards d’années.

Références
[1] P. Richet, "La radioactivité, Le Soleil, La Terre et la mort de Kelvin", La Recherche, 291 (10/1996), p. 78.

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