vendredi 7 mars 2014

Dosimétrie radioactive

Le commun des mortels est très souvent complètement perdu dans la jungle des unités utilisées pour mesurer le taux de radiation auquel nous sommes exposés. Entre les becquerels, les curies, les rads, les grays, les sieverts ou les rems, il faut avouer qu'il y a de quoi y perdre son latin. Plutôt que de chercher à tout apprendre par cœur, le mieux est d''avoir une image mentale claire du processus de radioactivité. Pour cela il suffit d'imaginer que toute source radioactive se comporte comme une arme à feu. Qu'est ce qui sort d'une arme à feu ? Des balles. Est ce que l'on meurt systématiquement parce qu'une arme tire des balles ? Bien sûr que non, pour mourir, il faut recevoir une balle car si les balles passent à côté ou si l'on a un pare-balle on ne risque rien même si l'on se trouve près de quelque chose qui peut vous tuer. Ceci nous montre qu'en matière de radioactivité une seule unité ne peut suffire, il en faut au moins 2. Une, pour quantifier l'activité de l'arme, c'est à dire le nombre de balle que tire l'arme à la seconde, car bien évidemment la probabilité de recevoir une balle augmente fortement avec le débit de l'arme. C'est le rôle du Becquerel dans le système international (symbole Bq) ou du Curie (Ci) que de mesurer l'activité d'une source radioactive. Avoir une source qui a une activité de 1 Bq signifie qu'elle subit une désintégration radioactive par seconde, quelle que soit la nature de l'élément radioactif et quelque soit le type rayonnement émis. Le problème du Becquerel, c'est qu'il s'agit d'une unité atomique qui ne correspond pas à notre échelle macroscopique. C'est pourquoi lorsque le phénomène de radioactivité a été découvert vers la fin du XIXème siècle, on utilisait une unité beaucoup plus pratique et adaptée à notre échelle macroscopique qui était le Curie. Depuis, l'avènement du système international, dit SI, et des préfixes multiplicatifs, cela ne pose plus de problème et l'on ne doit plus utiliser le Curie et appliquer la conversion suivante 1 Ci = 37 GBq.

La principale source naturelle de radioactivité dans notre environnement provient des roches via les isotopes 40K, 232Th et 238U ainsi que de leurs multiples descendants radioactifs [1]. C'est d''ailleurs la chaleur émise par ces désintégrations (1,25 mW·at-1 pour 40K, 14 mW·at-1 pour 232Th et 9,8 mW·at-1 pour 238U) qui fait que sous la croûte terrestre les roches entrent en fusion provoquant le phénomène de tectonique des plaques. Comme les liquides métalliques (Fe, Ni) ne sont pas miscibles avec les liquides magmatiques et nettement plus denses, ils se rassemblent au centre de la Terre sous la forme d'un noyau métallique liquide à l'origine de l'existence d'un champ magnétique terrestre.



Cette radioactivité naturelle du sol qui dépend de la concentration en ces trois isotopes a pour conséquence que l'air et l'eau sont aussi naturellement radioactifs, le premier en raison du noyau fils 222Rn et la seconde (environ 20 Bq·L-1) du noyau fils 226Ra appartenant à la famille de l'uranium. Il fut d'ailleurs une époque où l'on vantait les mérites de cette radioactivité naturelle en plein accord avec les pouvoirs publics:



Comme on le voit aussi sur cette figure l'air d'une pièce non ventilée accumule le radon [2] et peut donc atteindre une activité allant jusqu'à 1 kBq·m-3 alors qu'à l'extérieur cette même radioactivité est généralement inférieure à 10 Bq·m-3. Dans les cavités souterraines, les valeurs peuvent même atteindre 10 MBq·m-3 mais cela ne concerne évidemment que les mineurs. Depuis que l'homme a réussi à maîtriser l'énergie d'autres radioisotopes, principalement 131I et 137Cs, peuvent augmenter considérablement le taux de radiation de l'air ambiant. La figure suivante (©SCK-GEN, Source Jean Louis Genicot) montre les mesures réalisées par un laboratoire belge qui a suivi depuis un demi-siècle l'évolution de l'activité du 137Cs dans le corps humain et montré l'impact d'évènements comme les retombées des essais nucléaires des années 60 et l''accident de Tchernobyl [3].



Les activités de quelques centaines de becquerels peuvent sembler élévées. Elles sont en réalité très faibles : une centaine de becquels correspond à l'activité naturelle d'un kilogramme de notre corps qui n'est pas particulièrement radioactif. Il n'en reste pas moins que nous portons tous dans notre corps de manière permanente et indélébile les traces de toute cette activité anarchique tournant autour de l'énergie nucléaire. Pour information le nuage radioactif qui s'est échappé de la centrale de Tchernobyl en avril-mai 1986 avait une activité de 1-10 Bq·m-3 tandis que celui de Fukushima en mars 2011 avait une activité de 0,001 Bq·m-3. Comme ces valeurs sont du même ordre de grandeur que l'activité naturelle due au radon, le pic de Tchernobyl observé plus haut dans le corps humain ne provient pas d'une contamination de l'air mais bien plutôt d'une contamination générale des aliments. La figure suivante donne l'ordre de grandeur des activités mesurées sur quelques produits alimentaires [4].



En fait, comme on l'a vu plus haut, l'activité mesurée en becquerels est une condition nécessaire pour être irradié mais elle est loin d'être suffisante. En effet, si l'on reprend l'analogie de l'arme, peu importe après tout qu'elle tire avec un très haut débit, du moment que ce n'est pas dans notre direction. De plus, même si une balle nous touche, il faut aussi tenir compte de son calibre, c'est à dire de l'énergie cinétique qu'elle entraîne avec elle. C'est ici qu'intervient la deuxième unité de radioactivité qui est le Gray (Gy) et qui mesure la dose absorbée, c'est à dire l'énergie effectivement transmise par la source radioactive à 1 kg de matière quelle qu'elle soit (1 Gy = 1 J·kg-1 = 1 m2·s-2). Ici aussi, avant la rationalisation des unités de mesures, il existait une autre unité, le rad et l'on a la correspondance 1 Gy = 100 rad. En fait, il doit aussi être clair que cette deuxième unité si elle est bien adaptée à la matière inerte, n'est plus d'aucune utilité dès qu'il s'agit de matière vivante. En effet, si je reçois une balle dans le pied j'ai mal mais ma vie n'est pas réellement en danger car j'ai du temps pour réagir et prendre les mesures pour ne pas mourir. Si par contre je reçois la balle en plein cœur, là c'est la mort immédiate. Il faut donc aussi tenir compte de l'endroit qui est touché, certaines parties de l'organisme étant plus vitales que d''autres. C'est le rôle du Sievert (Sv) que de mesurer la dose efficace, celle qui fait que l'on peut vraiment être inquiet suite à une exposition à une source radioactive. Pour transformer les Grays en Sieverts, on multiplie par deux facteurs, l'un Q tenant compte de la nature du rayonnement et de son énergie (dans le cas des neutrons) et l'autre N tenant compte de la sensibilité de tissus aux rayonnements: Sv = Gy x Q x N [5]:



La somme de tous les facteurs de susceptibilité doit être égale à 1. Ces dernier facteur de susceptibilité est bien évidemment fonction de l'état d'avancement de la science médicale et se trouve régulièrement mis à jour afin de coller au plus près au facteur de danger réel de l'irradiation. De manière quantitative, voici les taux moyens d''exposition pour la population [5]:



Les exemples des expositions à la radioactivité naturelle ou résultant des activités de l'homme sont des moyennes annuelles, à l'exception des radiographies et du vol en avion où la dose est prise en une fois lors de l'examen ou du vol. De manière plus générale, voici quelques données supplémentaires sur les niveaux d'exposition en fonction des activités:



Concernant les conséquences d'une exposition à la radioactivité, il est bon de retenir les chiffres suivants:

Exposition annuelle moyenne = 2,4 mSv.an-1 ≈ 274 nSv⋅h-1
Exposition maximale autorisée en France ≤ 5 mSv.an-1 = 600 nSv⋅h-1
Exposition maximale autorisée pour les tavailleurs du nucléaire ≤ 20 mSv.an-1 = 2 µSv⋅h-1
Risques avérés de cancers ≥ 100 mSv·an-1 = 10 µSv⋅h-1
Syndrome hématopoïétique à partir d'une dose efficace de 2-4 Sv = 200-500 µSv⋅h-1
Syndrome gastro-intestinal à partir d'une dose efficace de 8-20 Sv = 1-2 mSv⋅h-1
Convulsions, coma, mort au-delà d''une dose efficace de 20 Sv = 2 mSv⋅h-1

Si vous êtes amenés à vous déplacer dans une centrale nucléaire, voici les codes de couleur donnant une idée du danger auquel on s''expose:

zone bleue = 2,5-7,5 µSv⋅h-1
zone verte = 7,5-25 µSv⋅h-1
zone jaune = 25-2000 µSv⋅h-1
zone orange = 2 -100 mSv⋅h-1
zone rouge  > 100 mSv⋅h-1

Cliquez ici pour suivre en direct le taux de radioactivité de l'atmosphère sur son lieu de résidence.

Par exemple au moment de la rédaction de cette page la radioactivité de l'air à Strasbourg était de 114 nSv·h-1 pour une norme française d'exposition maximale de 600 nSv·h-1 avec risque avéré de cancers au-delà de 10 µSv·h-1. Je peux donc dormir sur mes 2 oreilles...

Pour ce qui concerne l''eau de boisson, voici une analyse radiométrique d'une eau de source bue à raison de 1 litre par jour sur une année [4]:



Ici aussi, pas de quoi s'alarmer, on reste bien en-dessous du seuil de 2,4 mSv⋅an-1 dû à la radioactivité naturelle.

Voilà, pour savoir si vous avez compris, vous pouvez essayer de décoder par vous-mêmes la gravité de l'incident de Fukushima...

Références\r\n\r\n[1] C. de la Vaissière, J. Labergue, Y. Sacquin, F. Hubaut, G. Audi, CNRS/EDP Sciences, Terre
[2] C. de la Vaissière, J. Labergue, Y. Sacquin, F. Hubaut, G. Audi, CNRS/EDP Sciences, Radon
[3] C. de la Vaissière, J. Labergue, Y. Sacquin, F. Hubaut, G. Audi, CNRS/EDP Sciences, Doses
[4] C. de la Vaissière, J. Labergue, Y. Sacquin, F. Hubaut, G. Audi, CNRS/EDP Sciences, Alimentation
[5] C. de la Vaissière, J. Labergue, Y. Sacquin, F. Hubaut, G. Audi, CNRS/EDP Sciences, Dose efficace'

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